Depuis bien des années l’observateur attentif de la situation théologique en pays de langue tant française qu’allemande s’aperçoit du dépérissement de la réflexion proprement systématique et doctrinale au profit des sciences bibliques, de l’éthique, des sciences humaines mises en relation avec la théologie… La systématique est devenue l’apanage d’une caste de spécialistes trop souvent sans emprise sur le peuple de Dieu ni même en relation avec lui. Admettons certes que la réflexion doctrinale coûte trop d’efforts à l’homme d’aujourd’hui et qu’il préfère se rabattre sur des slogans dont on peut changer sans trop de mauvaise conscience en fonction des modes. Il y a pourtant aussi des raisons objectives qui font que l’on se détourne actuellement de la réflexion systématique en théologie. La principale nous semble résider dans la démesure des ouvrages de dogmatique qui, couvrant des rayons entiers de bibliothèque pour dire la foi chrétienne, désespèrent à juste titre plus d’un étudiant ou pasteur avant même qu’il se mette au travail. Cette démesure, qui semble un argument bien formel et anodin en faveur de cette méfiance à l’égard de la dogmatique, est toutefois révélatrice d’une conception globale de la théologie et de sa tâche. Si l’on a besoin de plusieurs milliers de pages pour dire la foi chrétienne, c’est que l’on a une conception «englobante» du travail dogmatique. Comme l’a montré G. Ebeling, la foi devient alors « un sac servant essentiellement à contenir des objets déterminés. Si elle contient les objets de foi prescrits par le christianisme, alors, à ce titre, elle est foi chrétienne. Si elle les contient totalement et dans leur intégrité, alors elle est foi chrétienne orthodoxe, conforme au canon de la foi. La question de son essence s’exprime alors mieux de la façon suivante: quel est l’ensemble des choses auxquelles il nous faut croire?».