Du treizième siècle finissant au plein milieu du XVIIIe siècle, l’Europe des écoles a retenti de la querelle des distinctions. Distinctions réelle ou modale, distinctions de raison raisonnée ou de raison raisonnante, distinctions virtuelle ou formelle, des choses entre elles, des aspects objectifs des choses en elles-mêmes. Le débat a été souvent présenté comme le champ clos où thomistes, scotistes, occamiens, suaréziens, disputaient sans fin, en se renvoyant à l’envi des arguments apparemment définitifs et vengeurs. Pourtant, s’agit-il seulement, ainsi que L’éloge de la folie le donnerait à penser, des arguties typiques d’une pensée moribonde, vaine et stérile? Et la philosophie des temps nouveaux s’élaborait-elle vraiment, comme on l’a pensé et comme on continue souvent de le penser, en dehors de tout lien avec la tradition scolastique, surgissant toute casquée comme Athéna du cerveau de Zeus? Certes, le caractère scolaire du débat peut masquer sa véritable portée. Il reste, pour celui du moins qui tente d’y regarder de plus près, que le problème des distinctions impliquait le statut même de la philosophie et que son enjeu n’était autre que la possibilité de l’acte de penser humain.