Comme le remarque W. M. Johnston, le terme Biedermeier exprime sans doute mieux que n’importe quel autre «la combinaison, qui a toujours été une caractéristique propre aux Autrichiens, de la résignation politique avec la jouissance esthétique et la religiosité catholique ». Du point de vue économique et sociologique, l’époque Biedermeier, qui a alimenté par la suite, surtout après l’effondrement de 1918, la nostalgie des Autrichiens patriotes, correspond à la disparition progressive d’une société pré-industrielle non contaminée par les «maladies» caractéristiques de la civilisation contemporaine. Dans les termes de la distinction proposée par Tönnies, l’Autriche du Biedermeier était — ou, en tout cas, a été perçue après coup comme — une communauté (Gemeinschaft) authentique, alors que l’époque qui a suivi a donné naissance à la société (Gesellschaft) urbaine et anonyme du capitalisme industriel, qui se caractérise, entre autres choses, par la dissolution des liens organiques traditionnels. Comme l’écrit Johnston: «Le fait qu’en Autriche la communauté, perturbée seulement de temps à autre par les excès de zèle d’un fonctionnaire, soit restée préservée jusque vers 1870, a endormi ceux qui se sont trouvés tout à coup mis en présence d’une ‘société’. Même à Vienne, le capitalisme a éveillé la nostalgie de la sécurité de l’époque Biedermeier et amené de nombreux publicistes à prôner la ‘communauté’ ou, à titre de compromis, une des ses variantes.»