Il y a quelque temps, en visitant un musée d’ethnographie en Suisse, mon attention fut attirée par une vitrine où était expliquée, avec des objets et des photos à l’appui, une pratique africaine relative aux jumeaux. Dans certaines tribus de l’Afrique Noire, nous disent les ethnologues, les enfants nés jumeaux jouissent d’une attention particulière: on regarde leur naissance comme étant de bon augure et on leur rend une sorte de culte avec, entre autres choses, des statuettes en bois qu’on fait en leur honneur. Or, les premiers chercheurs qui ont étudié ce phénomène ont été frappés par le taux relativement élevé des jumeaux dans ces sociétés et ils ont cherché d’abord, et assez naturellement, une explication d’ordre biologique. Par la suite, pourtant, on s’est aperçu qu’il n’en était rien et que la vraie explication était tout autre. […]
Je n’ai donc pas essayé de penser ce phénomène ethnographique; telle est précisément la tâche de l’ethnologie qui l’étudierait à fond, le rapprocherait d’autres phénomènes semblables et le situerait dans le cadre de sa discipline. Je me suis engagé plutôt dans une voie opposée à la sienne: au lieu de penser ce phénomène, j’ai tenté de le dé-penser, et dé-penser veut dire ici tout simplement penser à l’encontre d’une autre pensée, penser dans l’autre sens. Plus précisément, j’ai concentré mon attention sur le rôle que jouaient les signes dans ce phénomène, car ils me paraissaient être ici décisifs. D’abord, j’ai essayé de construire un modèle du phénomène en question en faisant abstraction de tous les détails inessentiels, puis j’ai cherché quelques exemples de ce même phénomène dans d’autres domaines pour m’assurer de sa généralité et, finalement, j’ai tenté d’en tirer quelques leçons pour la philosophie. Voici donc les résultats de mon essai de dé-penser par les signes.