«La raison humaine a cette destinée singulière, dans un genre de ses con¬ naissances, d’être accablée de questions qu’elle ne saurait éviter, car elles lui sont imposées par sa nature même, mais auxquelles elle ne peut répondre, parce qu’elles dépassent le pouvoir de la raison humaine».
Ce paradoxe, qui constitue le point de départ de la préface de la première édition 1781 de la Critique de la raison pure de Kant, me semble caractériser de manière précise toute la difficulté de la question du sens de l’histoire. En effet, cette question inévitable revient sans cesse, et aucune des nombreuses réponses ne parvient à épuiser véritablement la question.
En abordant ce thème dans la perspective théologique, il ne saurait être question de revendiquer au nom de la foi ou de la révélation un point de vue supérieur à celui de la raison humaine et échappant ainsi au paradoxe de ses questions fondamentales. Le théologien, qu’il le veuille ou non, n’échappe pas à cette condition de la raison humaine. Son effort portera donc sur la tâche d’articuler de la manière la plus adéquate possible la conviction chrétienne dans le concert des doctrines du sens de l’histoire.
Je me propose de traiter ce sujet en quatre parties. Dans un premier temps, j’esquisserai brièvement l’idée du sens de l’histoire telle qu’elle se présente sous sa forme tant théologique que philosophique. En deuxième lieu, je présenterai une critique philosophique de la théorie du sens de l’histoire. Dans une troisième partie, j’essaierai de prolonger cette critique en théologie, ce qui nous conduira du sens de l’histoire à l’événement du Christ comme instant dans l’histoire. Enfin, dans un quatrième temps, je me propose de réfléchir de manière plus détaillée aux implications de ce point d’aboutissement pour notre saisie de l’histoire; en d’autres termes: je veux tenter d’imaginer ce que pourrait être l’histoire sans l’hypothèque du sens de l’histoire.