Il est une question depuis longtemps débattue et toujours irritante, c’est-à-dire qui excite la curiosité et embarrasse la réflexion, qui tourmente l’esprit et nous oblige à un effort pour voir clair en nous-mêmes, pour comprendre comment nous agissons volontairement, ce que c’est que la volonté : un effort qui nous engage à devenir philosophes au sens le plus authentique du mot. Cette question a été soulevée, en effet, pour la première fois par celui qui a éveillé la réflexion philosophique en Occident, je veux dire Socrate, qui soutenait paradoxalement, c’est-à-dire contre l’opinion courante, que nul ne veut mal faire1. Il y a des gens qui agissent mal, qui se rendent coupables de fautes plus ou moins graves, d’actions injustes ou criminelles ; mais il arrive qu’ils se repentent et que, mis en présence des conséquences de leur conduite, ils déclarent qu’ils n’ont pas voulu cela. L’action qu’ils ont commise, cependant, ne leur a pas été imposée de l’extérieur ; elle ne leur a pas échappé par mégarde ; ils l’ont choisie délibérément ; mais ils reconnaissent qu’ils se sont trompés ; s’ils avaient su, ils auraient agi autrement. La thèse de Socrate, c’est qu’il en va toujours ainsi ; et que celui qui agit mal, qui ne choisit pas le bon parti, qui se rend coupable d’une mauvaise action, est toujours victime de son ignorance. Nul ne choisit le mal en sachant qu’il est mal, mais parce qu’il se trompe et qu’il le prend pour un bien, car nul ne peut vouloir le mal sciemment.