Une perception immédiate et naïve de la liturgie, du culte et de la pratique des sacrements, donne le sentiment d’une faille ou d’un décalage dans le cours de la banalité quotidienne. Cette faille ou ce décalage sont souvent dénoncés de nos jours comme reflétant une insupportable abstraction de ce type de langage par rapport à l’état des choses qui cadre la vie commune. Mais, à l’inverse, les tentatives faites pour combler cette faille ou ce décalage par un aménagement des textes et des gestes vers une plus grande «simplicité» provoquent souvent un malaise, comme si le décalage était pourtant nécessaire et la faille inévitable, et comme si les vrais problèmes liturgiques étaient ailleurs. Ces tentatives aboutissent généralement à une platitude tout à fait commune et ordinaire; les liturgies prétendues plus «populaires» ne disent plus rien et manifestent ainsi, avant tout, leur propre inutilité. Pourquoi, dès lors, ne pas réduire le culte à la prédication? Nous pressentons pourtant qu’une telle solution serait injuste et que le culte chrétien ne saurait se réduire au discours direct de la prédication. Il est nécessaire et constitutif du culte dans son ensemble que la liturgie soit en retrait de la vie pratique immédiate. Cette faille, ce décalage, plus ou moins bien exprimés, plus ou moins clairs et proprement avoués, ne nous rappellent-ils pas que l’état des choses n’est pas toute la réalité, même si c’est bien en lui que se configure et se joue notre réalité. Par son incongruité même — qui n’exclut pas la beauté, au contraire, mais il y a beaucoup à faire dans ce domaine — la liturgie doit être conçue comme le rappel de la réalité et comme la protestation à l’égard de toute réduction de celle-ci à la banalité quotidienne. Et en tant que telle, par office de contexte, elle confère à la prédication une autre qualité que celle d’un discours paraphrasant l’état des choses.