Il est inévitable aujourd’hui de s’expliquer avec Nietzsche. Car Nietzsche accomplit la fin de la philosophie traditionnelle, soit de la métaphysique, telle qu’elle a commencé avec Platon et Aristote. Celle-ci se caractérise par une distinction fondamentale: la distinction entre l’être permanent, qui est pensé dans la raison, et le devenir changeant, qui se montre dans les sens. Et cet être permanent, c’est ce qui, pour la métaphysique, est au sens propre et en vérité. Le devenir existe certes aussi, mais il n’est pas lui-même ce qui est en vérité. Le renversement de la métaphysique que Nietzsche accomplit dans sa pensée consiste à transformer en son contraire l’ordre ontologique de la métaphysique. Selon Nietzsche, ce qui est en vérité n’est plus l’être permanent; la réalité au sens propre c’est au contraire le devenir, qui est le trait fondamental de la vie. Avec ce renversement, Nietzsche se situe dans une opposition à l’ensemble de la métaphysique. C’est pourquoi il lui est essentiel de s’expliquer avec elle. Le renversement de la philosophie traditionnelle et sa critique constituent la fin de la philosophie traditionnelle telle que Nietzsche l’accomplit dans sa pensée. De cela, il est lui-même bien conscient. Il caractérisera en effet son œuvre tardive, « Le crépuscule des idoles », dans ces termes: « Ce qui sur la couverture est appelé idole, c’est tout simplement ce qu’on nommait vérité jusqu’ici. Crépuscule des idoles: — dit nettement — voici la fin de l’ancienne vérité. » La vérité, dans la tradition philosophique, c’est l’être permanent pensé dans la raison. C’est pourquoi un petit écrit du Crépuscule des idoles s’intitule de façon programmatique : « La “raison“ dans la philosophie ». Dans cet écrit également, Nietzsche opère la critique et le renversement de la philosophie traditionnelle. L’essai d’interprétation qui suit se propose de le montrer.