«Tu crois qu’il y a un seul Dieu?… Les diables le croient aussi et ils tremblent…» Ce célèbre verset de l’Epître de saint Jacques évoque d’une manière concise et dramatique le vieux problème du discernement entre un savoir simplement théorique des choses de la religion et leur compréhension profonde, illuminée par la grâce, nourrie par l’amour. Les écrivains chrétiens ne cessèrent de s’interroger avec un intérêt passionné sur les «critères» de ce discernement et leur recherche devint une préoccupation majeure de la théologie de l’orthodoxie protestante dominée par le dogme de l’élection personnelle au salut ou à la damnation. Or cette tâche se complique considérablement par la nécessité où l’on se trouve d’éviter le double écueil de la justice par les œuvres et d’une expérience seulement subjective de la conversion. Autrement dit: en cherchant à analyser, à peser, à mesurer sa foi et celle des autres, le chrétien ne peut se fier ni au témoignage extérieur de ses œuvres ni à l’assurance intérieure de ses expériences. Ce sont les sermons et les traités des puritains anglais et américains qui abordent cette problématique avec le plus de passion et de vigueur, mais la méfiance à l’égard de toute spéculation en matière de théologie réduit leurs travaux à n’être que d’excellentes descriptions empiriques de la vie spirituelle, des collections de conseils et d’observations pour distinguer les «saints» des « hypocrites ». Or la question du discernement entre le savoir spirituel et le savoir seulement « notionnel » dans le domaine religieux n’est qu’une subdivision, un cas particulier de la distinction plus générale entre une connaissance spéculative, théorique et conceptuelle d’une part, et une connaissance intuitive, pratique ou réelle d’autre part. Par conséquent, l’élaboration d’une théorie intégrale des rapports entre la connaissance notionnelle et la connaissance spirituelle ne sera possible qu’en fonction d’une analyse de leurs fondements métaphysiques. Celle-ci sera l’œuvre du seul grand théologien-philosophe qu’ait produit le puritanisme anglo-américain, Jonathan Edwards.