Depuis plus d’un siècle déjà, les travaux sérieux sur Joachim de Fiore se sont multipliés. S’ils n’ont pas réussi à percer totalement l’énigme du personnage et de son œuvre, si les interprétations qui en résultent sont encore sur bien des points divergentes, ils ont cependant abouti à maintes conclusions positives, dont la plus importante, et sur laquelle s’établit de plus en plus un large consensus, est sans doute l’importance historique considérable reconnue à celui qui, naguère encore, passait aux yeux de beaucoup pour une simple curiosité. Etudes biographiques et doctrinales, exhumations d’écrits perdus ou négligés, publications de textes ou reproductions d’éditions anciennes, recherches (souvent décevantes) des sources et (mieux récompensées) des influences, discussions d’ordres divers, — à cette vaste entreprise ont collaboré de nombreux savants de divers pays, avant tout d’Allemagne et d’Italie, mais aussi d’Angleterre, des Etats-Unis, d’Espagne, etc. En 1957, dans le recueil annuel américain Traditio, Morton W. Bloom- field pouvait dresser de cet effort collectif un bilan fort riche, doublé de judicieuses mises au point. Au cours de ces vingt dernières années, l’effort ne s’est pas ralenti, comme le montre le nouveau panorama déployé en 1975 dans les Mediaeval Studies de Toronto par Bernard McGinn, de l’Université de Chicago. — Cependant, il faut l’avouer, la contribution de langue française en ce domaine fut et demeure assez maigre. L’article excellent du Père Cyprien Baraut dans le Dictionnaire de spiritualité n’est qu’une heureuse exception. Le précieux Bulletin de théologie ancienne et médiévale, publié par les Bénédictins de Louvain, qui permet aux non-spécialistes de se tenir au courant, poursuit sa tâche avec une ténacité que tant de circonstances défavorables ne découragent pas, mais il ne peut qu’entretenir chez eux un appétit insatisfait. Aussi le livre récent qui nous arrive de Genève, dû à Henry Mottu, doit-il être salué avec reconnaissance. Il est le premier ouvrage d’ensemble, vraiment scientifique, consacré en notre langue à Joachim de Fiore. Il a le mérite d’être parfaitement informé de la littérature du sujet. Il a celui d’être fondé sur une lecture attentive, qui n’a pas reculé devant des études minutieuses de vocabulaire, des écrits joachimites. Celui encore d’en présenter une interprétation personnelle, qui confirme, parfois de manière originale, les résultats le plus généralement acquis par la critique. Ajoutons que l’auteur, ayant assuré ses bases, ne craint pas de s’engager lui-même dans le grand débat de fond soulevé par le «cas» de Joachim — ou se jetant dans la mêlée, ce qui donne à son ouvrage un intérêt très actuel. [Henry Mottu, La manifestation de l’Esprit selon Joachim de Fiore. Herméneutique et théologie de l’histoire d’après le «Traité sur les Quatre Evangiles» (Bibliothèque théologique), Préface du Père M. D. Chenu, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1977.]