La philosophie est en péril. Son unité «disloquée par les sciences humaines et les formalismes techniques», sa source première, la philosophie grecque, «en voie d’être confisquée par les spécialistes», elle devient sous nos yeux un monument que toute vie aura bientôt quitté. Pourtant, «tous ceux qui ont le souci de la vérité et des valeurs de l’esprit» savent que, avec elle, c’est ce qu’il y a de plus noble en l’homme, et donc l’homme lui-même, qui court à la mort. Un renouveau de la philosophie est aujourd’hui nécessaire. Il ne se produira pas sans que, par-delà les divisions des écoles, elle parvienne à retrouver la fécondité originelle des grandes sources qui ont jalonné son histoire. Telle est en tous cas la conviction de Joseph Moreau, mûrement acquise dans une longue familiarité avec les philosophes tant grecs que modernes. Or entre ceux-ci et ceux-là, la pensée ne s’est pas arrêtée. Mais si, depuis la fin du siècle dernier, la philosophie des théologiens médiévaux a fait l’objet d’une véritable redécouverte, cela a été, pour le principal, en opposition à la philosophie moderne. C’est ainsi qu’en France, naguère encore, l’enseignement de la philosophie se partageait entre le réalisme de la néoscolastique et l’idéalisme des maîtres de l’Université, attachés à Platon, Descartes, Kant. Cette coûteuse division était-elle bien fondée? La conviction contraire anime J. Moreau et il s’attache à la justifier, dans un livre récent, sur ce terrain primordial d’affrontement qu’est la doctrine de la connaissance. Saint Thomas y apparaît en continuité profonde tant avec la philosophie grecque qu’avec la philosophie moderne. L’enjeu de la thèse vaut la peine qu’on s’y arrête: sa vérité ne modifierait pas seulement les visions courantes de l’histoire de la philosophie, mais manifesterait l’existence d’une philosophia perennis et en réouvrirait l’accès à notre époque. [Joseph Moreau, De la connaissance selon saint Thomas d’Aquin, Paris, Beauchesne, 1976]